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Les personnes âgées, une génération à accompagner spirituellement

Monique Bodhuin
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La génération des aînés, une génération à accompagner spirituellement.

Monique Bodhuin, présidente de Vie Montante Internationale. 

Salutations et remerciements

Eminence, Excellences, Mesdames, Messieurs, je vous salue cordialement.

Je remercie le Cardinal Farrell et le Dr Vittorio Scelzo de la confiance qu’ils m’ont faite en me proposant d’intervenir sur le thème « la génération des aînés, une génération à accompagner spirituellement ». J’ai un peu élargi les contours du sujet, car c’est pour moi une manière de parler de l’évangélisation…

N’étant pas théologienne, ma seule expertise, ma modeste expertise, pour répondre au sujet, me vient de ce que je vis depuis que je suis à la retraite et de mon engagement dans l’Eglise au nom de ma foi.

Ce que je vis : - je côtoie des amis de mon âge qui, pour beaucoup, se sont éloignés de l’Eglise (j’appartiens à cette génération qu’on a baptisée « soixante-huitarde »). - je suis grand-mère. - Je suis confrontée à la question du grand âge à travers la personne de ma mère (94 ans). – à la retraite, mon engagement de chrétienne m’a amenée à présider, de 2011 à 2018, le Mouvement Chrétien des Retraités (MCR), branche française de Vie Montante Internationale (VMI) ; puis j’ai poursuivi ma route, au service de L’Eglise, en acceptant la présidence de VMI à laquelle j’ai été élue en novembre 2018.

Mon propos s’organise en quatre temps :

I)Ayant élargi mon propos à l’évangélisation , je dirai, à partir de mon expérience, quelques mots pour montrer comment les aînés peuvent être acteurs d’évangélisation : - l’expérience des Journées du Monde de la Retraite (JMR) : évangéliser en alertant sur les dérives de notre société pour construire un monde plus conforme au projet de Dieu - les grands-parents, témoins de la foi auprès de leurs petits-enfants - être présence d’Eglise dans un quartier

II) Les aînés ont besoin, en cette étape ultime de leur vie qu’est la vieillesse, (après la vie professionnelle) d’approfondir les différentes dimensions de leur vie : - réfléchir sur le vieillissement, sur le sens de l’âge - les aînés ont besoin d’approfondir leur foi - la vieillesse, comme chemin d’approfondissement spirituel

III) Dans notre génération d’aînés, il y a des « périphéries » vers lesquelles nous devons aller : - les « périphéries » que sont les aînés déchristianisés - les « grands aînés » souvent abandonnés à leur solitude.

IV)Une quatrième partie pour dégager des perspectives

I)Première partie : Les aînés acteurs d’évangélisation Accompagner spirituellement la génération des aînés, c’est répondre à une mission pastorale, évangéliser, c’est « annoncer l’Evangile aux hommes de notre temps » (Evangelii nuntiandi de Paul VI) ; évangéliser, c’est traduire en actes concrets l’engagement chrétien dans la société et dans l’Eglise ; en disant cela, je ne fais que reprendre ici un des objectifs de VMI ; évangéliser, c’est donner aux aînés des outils qui leur feront témoigner concrètement de leur foi là où ils vivent , des outils qui feront de chacun de nous un « disciple-missionnaire », évangéliser « c’est rendre neuve l’humanité » (Formule de Mgr Maupu, assistant ecclésiastique de Vie Montante Internationale) c’est-à-dire faire que l’amour du Christ et la joie née de ce don d’amour, fassent de nous des êtres nouveaux capables de communiquer ce qui aide à vivre et donne de l’espérance, fassent de nous des êtres nouveaux capables de contribuer à la transformation du monde. Ce fut le projet des Troisièmes Journées du Monde de la Retraite (3JMR).

I-1) Les 3JMR : elles eurent lieu à Lourdes en juin 2018 et réunirent 4000 personnes, membres du Mouvement Chrétien des Retraités et personnes extérieures au mouvement et étaient inspirées par Laudato Si, qui a été le fil rouge de la mandature.

Cette manifestation abordait des questions sociétales dont les enjeux sont fondamentaux pour l’avenir de la société future : quelles réponses pouvons-nous apporter en tant que chrétiens, en référence aux valeurs de l’Evangile…

 - sur la question du vivre ensemble : « nous sommes condamnés à vivre ensemble » disait le Cardinal Tauran, qui fut responsable du dialogue interreligieux dans les instances vaticanes. Quelles ressources nécessaires à la construction du bien commun, chaque croyant trouve-t-t-il dans sa foi ? - sur la question de la famille : en quoi reste-t-elle un lieu de transmission des valeurs, riche de potentialités malgré un modèle familial classique bousculé ? - dans le domaine de la santé : comment, en tant que chrétien, réagir à une nouvelle anthropologie née des dérives engendrées par les progrès de la science (l’homme augmenté, fantasme de l’homme immortel…) qui nieraient le caractère sacré de la personne humaine et les limites de toute vie ? -le défi de l’écologie : comment faire pour renoncer à des modèles économiques qui épuisent les ressources de la planète, pour changer nos mentalités et pour adopter d’autres comportements ?

Cette manifestation est, pour moi, un acte d’évangélisation parce, nous avons voulu traduire une prise de conscience qui engage notre responsabilité de chrétiens ; le Pape François dans le n°102 d’ Evangelii Gaudium : regrette qu’il n’y ait pas « de réel engagement pour la mise en œuvre de l’Evangile en vue de la transformation de la société » et il nous invite dans le même paragraphe à travailler « à la pénétration des valeurs chrétiennes dans le monde social, économique et politique » : être acteurs des transformations du monde pour le rendre peu à peu plus conforme au projet de Dieu, c’est l’expression de notre espérance dont nous avons à rendre compte ; être « actifs de l’espérance », tel était le slogan des 3JMR. Je conclus en citant à nouveau le pape François : « ce monde est le premier miracle que Dieu ait fait et Dieu a mis entre nos mains la grâce de nouveaux prodiges ».

I-2) Transmission de la foi :Une autre dimension de cette mission d’évangélisation procède de notre statut de grands-parents, conscients de la rupture de la transmission dans les familles, avec des enfants éloignés de l’Eglise malgré une éducation chrétienne et par conséquent, des petits-enfants qui souvent ne sont pas baptisés ; au-delà des interrogations et des souffrances devant une réalité qu’il faut bien accepter, nous avons en tant que disciples et apôtres, à témoigner de notre foi, de notre appartenance au Christ comme source de notre vie et de l’amour de Dieu pour chaque personne. Dieu nous le demande et nous avons à répondre à cette confiance qu’il nous fait pour être ses messagers en des lieux de vie où on ne Lui fait plus aucune place ; sans faire de prosélytisme, nous pouvons amener les petits-enfants à découvrir « ce trésor » qu’est la foi, trésor parce qu’il est le garant de ce qui donne sens à ma vie et fait le prix de ma personne, un trésor que j’ai envie de partager avec eux ; cela passe par les opportunités que nous offre la vie quotidienne : Pour les plus petits : -lisons-leur des récits bibliques ; des récits comme l’arche de Noé, le combat de David et Goliath, les aventures de Jonas peuvent susciter des questions : y répondre fournit l’occasion de parler de Dieu -profitons de ce qu’ils vivent pour les initier, par quelques mots en forme de prière toute simple, à une présence mystérieuse, source de toute joie ou de tout réconfort (avec Augustin, dire merci à Dieu pour cette belle promenade en montagne, faire dire à Teoman dont les parents sont séparés et qui pleure parce que sa maman le quitte pour 15 jours « je te confie mon chagrin et ma tristesse »). - faisons-les s’émerveiller devant la beauté de la nature (une fleur, un paysage, un coucher de soleil, le chatoiement des eaux d’un ruisseau…) et nous pourrons leur faire sentir « Dieu présent en toute création » - mettant de côté la culpabilité qui peut nous hanter (qu’avons-nous mal fait avec nos enfants) vivons, joyeux et heureux, les moments que nous partageons avec nos petits-enfants (des jeux de société, une partie de cache-cache, un moment de lecture). Que cette joie soit signe du Christ.

Quand ils deviennent plus grands - vivons notre foi en posant des actes sur lesquels ils pourront nous interroger ( pourquoi vas-tu à la messe ? ) -des images à la T.V., un événement familial (baptême, maladie ou mort d’un proche) peuvent donner lieu à des échanges les confrontant au sens de l’existence et permettant d’aborder la question de la transcendance. Stimulons leur indéniable capacité spirituelle en dialoguant avec eux simplement et en vérité « Voilà ce que je crois…, voilà ce que disent d’autres… et toi qu’en penses-tu ? » - offrons-leur notre « sagesse » née de l’expérience de toute une vie, notre « science de la vie », en répondant à leurs questions lorsqu’ils nous sollicitent pour une décision à prendre ou un choix de vie à faire (un exemple : Annie est interrogée par sa petite-fille qui lui demande ce qu’elle pense de sa décision de vivre et de s’engager avec une femme : par ses paroles, sans faire la leçon, Annie, pleine de respect et de tendresse envers sa petite fille, a apporté à cette dernière soulagement et sérénité. Je pense que ce qu’elle a dit lui venait de sa foi profonde ; je crois qu’elle a été pour sa petite-fille visage du Christ). Sachons donner confiance aux jeunes et les aider à aller de l’avant. – un musée, un événement historique, une œuvre de la littérature peuvent être source de questions, donner lieu à l’entrée dans le monde de la Bible : ce peut-être le premier pas vers Dieu.

Que les occasions de catéchèse et notre témoignage de vie soient pour les petits-enfants les balises d’un chemin qui mène à Dieu : Eveilleurs et passeurs ce peut être là une belle spécificité grand-parentale. Peut-être avons-nous à créer des lieux, des instances où nous apprendrons à faire cette initiation à la foi, où nous serons proposés des « outils » ad hoc. Il s’agit de cheminer avec les petits-enfants, avec l’espérance – une espérance très forte, chevillée à notre être – que Dieu, dans son amour pour tout être, ouvrira leur cœur à sa présence et les mènera sur le chemin d’une rencontre avec Lui. Faisons-nôtre la supplique du Christ en croix : « Père tout T’est possible » ; une religieuse commente ainsi ces mots « parole extrême où l’absolu de l’angoisse vient exactement coïncider avec l’absolu de la confiance »

I-3) Etre présence d’Eglise dans un quartier : c’est le sens de l’action d’une association paroissiale, animée par des aînés et qui aide des personnes en situation précaire à régler des problèmes matériels (repeindre son appartement, changer un robinet…) ; une forme d’attention, faite au nom de la foi, parce que Jésus est présent en l’autre ; par cette attention je lui révèle quelque chose du visage du Christ. Je reprends les propos d’un ancien responsable national du MCR « se rappeler que le christianisme a pour mission première non pas d’expliquer le monde ni de meubler l’esprit mais de changer les cœurs ».

II) Deuxième partie : changer les coeurs en menant une réflexion sur le temps du vieillissement, sur le sens le sens de l’âge :

II-1) Il s’agit d’approfondir les questions qui relèvent d’un statut nouveau (retraité, sorti de la vie active) et que suscite le temps qui passe : - que signifie ne plus être productif, quel sens donner à cette nouvelle disponibilité, entrer dans l’âge de la gratuité, comment valoriser le sens de la gratuité. - le vieillissement est souvent synonyme de fragilité : quel sens donner à la vulnérabilité, à la maladie, à la souffrance ; que signifie vivre quand on souffre ou qu’on est allongé sur un lit d’hôpital ; que signifie être chrétien quand on est dans la confusion mentale. - les années qui passent et qui nous rapprochent de la fin qui borne toute vie, fournissent l’opportunité d’une réflexion sur la fin de vie, sur les conditions dans lesquelles nous pouvons nous trouver ; comment aborder avec sérénité la question de cette échéance inéluctable qu’est la mort et réfléchir sur la mort à la lueur de l’espérance chrétienne de la résurrection. « Le temps de la vieillesse apporte quelque chose de fondamentalement nouveau à la société » disait le Dr Scelzo lors d’une intervention, à Saint Domingue, auprès de Vie Montante Internationale. Ne sommes-nous pas les mieux placés pour proposer à la société de s’interroger sur ces questions liées à une longue vieillesse, pour demander à des experts (philosophe et théologien ou autre…) de nous aider à les réfléchir ; organisons conférences et échanges sur ces sujets qui donneront à cette étape de notre vie toute son épaisseur humaine et, si elles sont réfléchies à la lueur de l’Evangile, sa profondeur spirituelle.

II-2) les aînés ont besoin d’approfondir leur foi, de la conforter et de la vivre en communauté ; les membres de Vie Montante Internationale disent souvent le soutien et l’enrichissement humain et spirituel qu’ils trouvent dans les réunions organisées pour échanger sur leur vie et en faire une relecture à la lueur de l’Evangile ; VMI prend en compte l’expression de ces besoins en élaborant des livrets d’accompagnement, outil de guidance spirituelle pour une année, qui permet d’alimenter les échanges en réunions. Je cite d’autres signes de cet appétit spirituel auquel il faut répondre : la lettre pastorale que le Père Montferrand, conseiller spirituel pour VMI du continent latino-américain, écrivait chaque mois pour soutenir la réflexion spirituelle des membres et qui était diffusée par l’intermédiaire des responsables nationaux ; autre exemple, celui des membres VMI de l’île Maurice qui ont demandé au cardinal Piat que soit programmée une messe l’après-midi, pour que les aînés puissent être présents et qui souhaitent que cette messe soit un lieu de catéchèse répondant à leurs préoccupations.

II-3) La vieillesse, comme chemin spirituel :

Le Christ n’a pas connu la vieillesse…Pour cette étape, Il ne nous donne guère de repères. Soyons lucide : la vieillesse peut être un temps de mise à l’épreuve ; les forces de la vie (les forces physiques, les capacités mentales) diminuent et déclinent progressivement ; notre rapport au monde au temps change : on se sent de moins en moins concerné par ce qui se passe autour de nous, d’où une impression d’inutilité ; on peut vivre des frustrations affectives plus ou moins grandes ; on sait que le temps nous est compté, la mort se rapproche avec parfois des interrogations douloureuses et peut-être l’épreuve du doute.

Quels pourraient être les éléments d’une réflexion sur la spiritualité vocationnelle propre à la vieillesse : - apprendre à se savoir mortel : comment acquérir cette liberté intérieure qui nous fait dépasser la peur de la mort, la tristesse, le doute. - apprendre à supporter les inconvénients de la vie présente, à l’image du Christ faisant face aux aléas de son existence et aux obstacles qu’il rencontre sur le chemin de sa mission, alors qu’Il était bien plus jeune. - apprendre à se dépouiller du superflu et à se demander comment l’amenuisement de l’avoir et du pouvoir nous renvoient à Dieu - apprendre à vivre la joie du présent, à trouver dans le présent que je vis des sources de joie en restant ouvert aux autres, en faisant au jour le jour, ce qu’il y a à faire, en rendant service dans la mesure de mes moyens, en restant ouvert aux autres, en posant sur chacun un regard bienveillant, en priant : une façon de, dire jusqu’au bout, que la vie vaut d’être vécue, de rendre grâce, de témoigner de la Vie - apprendre l’espérance, comme force qui féconde la vieillesse, parce qu’elle nous donne confiance dans l’existence et nous introduit à la résurrection qui ne concerne pas seulement l’au-delà mais qui doit transfigurer notre vie ici-bas ; « ce n’est plus moi qui vis, dit saint Paul, c’est le Christ qui vit en moi ».

III -Troisième partie : aller vers les « périphéries », les aînés destinataires de l’évangélisation

III-1 : les aînés déchristianisésLa population des aînés représente une part de plus en plus importante dans nos sociétés ; la déchristianisation et la sécularisation dans les sociétés occidentales augmentent mathématiquement la part des personnes qui se sont éloignés de l’Eglise ou qui n’ont plus de contacts avec l’Eglise. Le constat que j’établis pour mon diocèse et pour mon pays - mais je pense que c’est valable pour d’autres - est que les évêques soucieux de l’avenir de l’Eglise, se tournent en priorité vers les jeunes, délaissant cette part importante de la société.

Des aînés, « prisonniers » de la société de consommation ( voyages, multiples objets de confort et de sécurité…), des aînés voués à répondre aux exigences d’un jeunisme très prégnant (entretien de la forme, chirurgie esthétique…); des aînés qu’on laisse trop souvent à leur solitude, ou chez eux ou dans les maisons de retraite,-les enfants habitant loin, voire s’étant expatriés à l’autre bout du monde ; des aînés, victimes de cette civilisation du déchet que dénonce le pape François : des aînés africains qui ont le sentiment d’être exclus de leur communauté parce que, dans leur village, alors qu’ils avancent en âge, ils sont considérés parfois comme occupant une place indue, prenant la place des jeunes, des aînés qu’on veut mettre à l’écart comme ce vieillard latino-américain qui voit son fils lui construire une table pour qu’il mange à part de la famille sans la déranger ou l’indisposer par ses gestes maladroits : ces aînés n’est-ce pas là les multiples et diverses « périphéries » vers lesquelles nous sommes invités à aller ? Que ces aînés soient une des dimensions des « périphéries de l’Eglise », on n’en a pas toujours conscience parce que bien souvent, ce sont les têtes chenues qui, dans beaucoup de paroisses, remplissent les nefs de nos églises, ce sont les anciens qui accompagnent le prêtre dans sa mission ecclésiale (catéchèse, préparation au baptême, service des funérailles, conseil de fabrique ou conseil pastoral) ; mais ils sont nombreux celles et ceux qui vivent de façon très matérialiste, loin de l’Eglise qui ne se soucie pas d’eux.

Ces aînés comment pouvons-nous les atteindre ? Il n’y a pas de réponse unique, il faut partir des réalités, situations, des attentes constatées, il faut recenser les questions et les problèmes qui se posent dans l’espace de la vieillesse : - certains aînés chacun à leur manière, selon leur culture et sensibilité, sont à un moment ou à un autre confrontés à des questions existentielles : que fais-je sur terre ? l’itinéraire de ma vie obéit-il à une certaine cohérence ? pourquoi avoir fait tel ou tel choix ? quel sens donner à ma vie ? pourquoi notre finitude ? la mort est-ce la fin de tout et une plongée dans le néant ? Qui, parmi ces aînés, n’a pas éprouvé un certain désarroi devant les énigmes de la vie : souffrance ou perte d’un être cher, confrontation au mal. Autant de sujets qui peuvent avoir une réponse humaine, sociologique ou philosophique mais qui permettent aussi de réfléchir sur l’apport spécifique de l’Eglise et de déboucher sur une réflexion théologique ; ce peut être le point de départ d’un cheminement que l’Eglise doit accompagner ; ce peut être une manière de revisiter un enseignement catéchétique qui en est resté au stade des formules toutes faites, parfois peu comprises, de revisiter des croyances abandonnées ou des convictions rejetées parce qu’elles n’apportaient rien sur la façon de construire sa vie. ; c’est là une approche renouvelée de la foi. Il y a une opportunité à travers ce retour au religieux ; certains penseurs parlent d’attentes spirituelles fortes, d’ une « aspiration religieuse diffuse et fragile », d’une quête de références qui donnent sens à la vie ; c’est l’occasion de faire redécouvrir la foi non pas comme une idéologie, non comme une série de prescriptions morales ou d’obligations mais comme ce qui donne du poids et du sens à la vie, non comme ce qui est un obstacle à la liberté et à l’épanouissement de chacun(e) mais bien au contraire comme la source d’un bonheur vrai dont le fondement est l’amour, comme étant capable d’apporter un supplément d’âme à tout homme. Le Christ nous dit « je suis la voie, je suis le chemin », un chemin pour bâtir sa vie, ici-bas, sur terre car, comme le dit Joseph Moingt, nous avons à croire -et à le faire savoir - « que, ce que Jésus avait d’ordre exceptionnel, n’était pas d’ordre religieux mais humain1 ?». Dans le même ordre d’idées, Enzo Bianchi2, lors d’un interview au journal La Croix dit « que la vie chrétienne porte en elle un message d’humanisation » « que la spiritualité chrétienne est un art de vivre humainement ». Peut-être avons- nous à créer des programmes de formation qui présenteront de manière convaincante les réponses de l’Evangile qui, depuis deux millénaires apportent soutien, orientation et courage de vivre. Le Christ comme boussole d’une vie…Voilà ce que nous pouvons proposer.

III-2) D’autres périphéries : des grands aînés qui ont besoin de notre présence et de notre attention

Ce cheminement que je viens d’évoquer me paraît d’une urgence absolue pour les aînés marqués par le grand âge et toutes les fragilités liées au vieillissement. Nous, aînés, qui entrons dans la vieillesse et qui sommes encore bien valides, allons vers les grands aînés, c’est notre mission. Face à ces personnes particulièrement vulnérables nous devons développer une évangélisation par la présence, la proximité, le soin, la bonté, une évangélisation par la miséricorde, qui est incarnation dans le concret de la charité, qui traduit dans le concret l’amour gratuit de Dieu ; c’est ce à quoi nous invite le Pape dans Evangelii Gaudium.

Evangéliser c’est intervenir selon plusieurs dimensions

III-2-1) Entrer dans le grand âge signifie souvent solitude relationnelle comme je l’ai dit plus haut, solitude psychologique (on n’a plus la force de faire, de participer à des activités), solitude intellectuelle (désintérêt de l’actualité, des affaires du monde, on n’a plus la force de lire ou on ne peut plus le faire). Ces personnes ont besoin d’être acceptées telles qu’elles sont avec leurs manques, leurs limites, leurs infirmités ou leurs handicaps ; ce qu’ils attendent de nous c’est que nous les visitions régulièrement et que nous leur offrions une présence simple, attentionnée et affectueuse, une proximité aimante afin de leur montrer qu’elles comptent encore pour la communauté humaine ; c’est ainsi que nous serons auprès d’eux visage d’Eglise, il s’agit de faire expérimenter qu’il y a une façon de faire église qui est un remède précieux à ce qui menace ces personnes (isolement, abandon, exclusion relationnelle) . Cette attention totale à la personne nécessite que l’on se forme pour devenir des agents qui déploient « le service d’amour » car évangéliser, c’est d’abord aimer, « Proposer une rencontre qui accueille, qui réchauffe mais aussi qui surprenne et interpelle…Est-ce possible de révéler l’Amour sans amour ? Comment parler de Dieu sans désirer aimer celui à qui je m’adresse3 ».

III-2-2) Nous serons visage d’église si nous avons le souci d’être créateur de vie auprès des personnes très vieillissantes :

- être créateur de vie, c’est faire vivre jusqu’au bout ; quand la vie s’éloigne des corps, il faut montrer que la vie existe encore et que le grand âge n’empêche pas d’avoir sa pleine place dans la communauté humaine, que celle-ci a toujours le souci de prendre en compte les besoins ou les attentes de la personne, si âgée soit-elle. Je pense au dispositif Monalisa4 créé en France et dans lequel se sont engagés certains membres du Mouvement Chrétien des Retraités ; ce dispositif a été créé pour répondre aux besoins des grands aînés qui demandent un service (aller faire des courses, aller chez le médecin…) ou demandent une simple présence pour partager un moment d’échange ou de convivialité qui rompe leur solitude. - être créateur de vie c’est aussi mettre de la vie auprès des personnes très âgées en introduisant des actions intergénérationnelles dans les maisons de retraite : rencontres avec un classe de maternelle ou des plus grands, pour partager un moment festif, chanter, jouer, rire ; cela se fait mais pas partout ; alors soyons en les initiateurs ; créer ces moments de vie et de joie, c’est aider à retrouver une dimension de la foi qui est une passion pour l’humain enraciné dans la passion que Dieu a pour chacun de nous. – - être créateur de vie, c’est inciter chaque personne à se bâtir un projet de vie quel que soit son âge : faire de la peinture, faire de la musique, rédiger ses mémoires… - être créateur de vie, c’est aider nos aînés à trouver la sérénité en cette étape ultime de leur vie en les aidant à se libérer d’un passé parfois lourd ou décevant, à se libérer de la culpabilité ; sérénité face à la mort parce que, en cette ultime étape de la vie, elle se fait proche ; proposons régulièrement réflexions et méditations sur la mort pour aider à sortir de la révolte légitime face à la mort ou de son esquive ; inévitablement seront abordées la question de « l’après », de l’au-delà qui est une ouverture sur la résurrection. « La mort mieux assumée nous rend plus participants de cette grande Aventure qu’est notre vie » « voir en quoi ma mort, la mort de l’autre, la mort du Christ peuvent avoir sens, peuvent finalement pacifier et paradoxalement relancer la vie » deux phrases de Mgr Hudsyn, évêque auxiliaire du Brabant (Belgique) prononcées au cours d’une rencontre organisée par VMI ; et il citait aussi le livre de François Cheng, écrivain catholique d’origine chinoise, « Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie ».

En conclusion de cette partie, je cite J.G. Xerri . Il reprend les paroles de Bernadette dans son expérience avec La Vierge Marie : « La Dame m’a souri, elle m’a regardée comme une personne regarde une autre personne… ». L’auteur conclut : « L’évangélisation est fondamentalement un acte de relation de personne à personne… C’est à cette rencontre qu’il faut travailler5 ». C’est ce que nous dit le Pape François6 : stigmatisant toutes les formes de prosélytisme, car on se passe «de « l’attraction du Christ et de l’œuvre de l’Esprit », le Saint Père parle de « la liberté et de la gratuité avec lesquelles la foi peut se transmettre, par la grâce, de personne à personne ».

Ce service de l’homme – adaptation à l’autre, réponse à ses besoins, cheminement et accompagnement - nous met en position privilégiée pour réduire la distance entre vie de foi et vie temporelle, lorsque dans cette dernière, Dieu n’a pas sa place ou très peu. « Ne pas avoir peur de fréquenter les frontières est un défi, puisqu’il s’agit de s’y tenir pour comprendre l’autre qui est différent, pour s’engager dans un dialogue avec tout soi-même, avec aussi l’espérance, que dans ce dialogue, Dieu aussi s’engage davantage » disait Mgr Pansard7.

IV Quatrième partie : perspectives

- Nous sommes dans une société qui voit la référence à Dieu en termes d’utilité ; « une sécularisation qui ne se dresse plus contre un Dieu oppresseur mais se passe simplement de toute référence à Dieu2 » mais poursuit Mgr Rouet « un monde sécularisé intéresse Dieu2 » car nous n’existons pas en dehors du temps ; pour lui la sécularisation est « un temps de grâce2 », car Dieu nous demande de nous « affronter à la crédulité2 » et de « fonder une intelligence de la foi2 » qui réponde aux aspirations de nos contemporains ; cela me rappelle une phrase d’Etty Hillesum prononcé dans un contexte bien différent mais qui peut s’appliquer ici : « dire à Dieu comment on veut l’aider, lui dire combien on a envie de l’aider ».

- Car cette mission n’est pas une option : voici quelques phrases tirées du livre du pape François proposées dans un article de La Croix : « Soit l’Eglise est en sortie, soit elle n’est pas l’Eglise. Soit elle est annonce, soit elle n’est pas l’Eglise6 » « Si l’Eglise ne sort pas, elle se corrompt, se dénature. Elle devient une multinationale destinée à lancer des initiatives et des messages au contenu éthique et religieux6 ». Dietrich Bonhoffer, pasteur exécuté par les Nazis a dit « l’Eglise, n’est faite réellement Eglise que quand elle existe pour ceux qui n’en font pas partie2 ». Cf étymologie du mot « église » où on retrouve la racine d’un verbe qui signifie appeler, en faisant venir, en invitant ceux vers lesquels on est allé… Timothy Radcliffe, ancien maître de l’ordre dominicain regardant les crises de l’Eglise au cours de l’histoire (il y en a eu, selon lui, de bien plus grave que celle qui nous confronte à la déchristianisation et à la sécularisation, la Révolution française a voulu détruire la foi chrétienne, pensons aux régimes communistes et à leur entreprise aussi destructrice à l’égard de la foi) nous appelle à inventer de « nouvelles formes de présence2 » ; citant Bartolomé de Las Casas, il dit que Dieu est celui qui se souvient de tous ceux qui sont oubliés.

-Nous sommes invités à la créativité « avec la fidélité et la liberté qui sont ensemble la marque du message et de la foi des disciples2 » affirmait Michel Kubler, ancien rédacteur en chef à La Croix dans l’édito d’un numéro spécial consacré à l’avenir du christianisme ; Mgr Dagens disait que « les exigences de l’évangélisation tenaient en deux mots : intériorité et combativité2 » ; il faut sortir de nos réflexes de pastorale classique ; à la manière de Jésus qui entre chez Zachée, qui marche avec les disciples d’Emmaüs, nous sommes invités à mettre en place une pastorale du cheminement comme je l’ai évoqué plus haut.

- Une évangélisation qui nécessite collaboration entre clercs et laïcs pour inventer, mettre en œuvre ; chaque croyant porte en lui le « sensus fidei » et, au nom du sacerdoce baptismal, est investi de la responsabilité d’évangéliser.

- une évangélisation qui doit réunir jeunes et aînés dans le même désir de faire connaître Dieu et d’annoncer la Bonne nouvelle, comme nous y invite le Pape François dans son discours du 16 décembre aux membres de l’association nationale des travailleurs âgés, je cite : « Il sera donc important que les personnes âgées soient considérés comme porteuses non seulement de besoins mais aussi de nouvelles instances, ou comme il m’arrive souvent de le dire en faisant écho à la Bible de rêves (Joël 3,1)… mais des rêves chargés de mémoire, pas vides, vains, comme ceux de certaines publicités ; les rêves des personnes âgées sont imprégnées de mémoire, et donc fondamentaux pour le chemin des jeunes parce que ce sont leurs racines…L’avenir d’un peuple suppose nécessairement un dialogue et une rencontre entre personnes âgées et jeunes pour la construction d’une société plus juste, plus belle, plus solidaire, plus chrétienne. Les jeunes sont la force du chemin d’un peuple et les personnes âgées revigorent cette force par leur mémoire et leur sagesse », j’ajoute par leur foi qui a résisté aux épreuves de la vie. A nous de trouver les formes de « cette solidarité intergénérationnelle » à laquelle le Pape appelait encore dans le message qu’il adressait au corps diplomatique le 9 janvier dernier, affirmant que les jeunes par leur enthousiasme, leur dynamisme et leur soif de vérité « nous rappellent constamment que l’espérance n’est pas une utopie ».

CONCLUSION : 3 citations

-de J.G Xerri: « Le défi de l’évangélisation situe le chrétien comme un être de désir ; le désir qu’il a de Dieu pour lui-même, le désir qu’il a de Dieu pour les autres »

-de Timothy Radcliff2 : « Toute la création est en chemin vers Dieu. Ayant cette espérance… nous pouvons affronter les défis avec réalisme, confiants d’être mystérieusement dans les mains de Dieu. L’espérance nous rend capables d’agir ».

- d’Eloi Leclerc9 : « Le Seigneur nous a envoyés évangéliser les hommes … Evangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : « Toi aussi tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. » Et pas seulement le lui dire, mais le penser réellement. Et pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi. C’est cela lui annoncer la bonne nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié. Une amitié réelle, désintéressée, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profondes. Nous devons être au milieu d’eux les témoins pacifiés du Tout-Puissant, des hommes sans convoitises, sans mépris, capables de devenir réellement leurs amis. C’est notre amitié qu’ils attendent, une amitié qui leur fasse sentir qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés en Jésus-Christ ».

Notes : 1. Joseph Moingt Du Dieu qui vient à l’homme, Ed. du Cerf 2007 2. Mgr Rouet, Mgr Dagens, Timothy Radcliff, Michel Kubler, extraits d’interviews parus dans le Hors-série La Croix Quel avenir pour le christianisme. Ibidem pour la citation de Dietrich Bonhoffer. 3. Jean-Guilhem Xerri, A quoi sert un chrétien, Ed. du Cerf, 2014, p.226. 4. Monalisa : MObilisation NAtionale contre L’Isolement et la Solitude des personnes Agées ; opération lancée officiellement le 27 janvier 2014. 5. J.G. Xerri, op.cit.,p.226. 6. Pape François, Sans Jésus nous ne pouvons rien, janvier 2020, Ed.Bayard, extraits parus dans le journal La Croix du 8 janvier 2020. 7. Mgr Pansard, Etats généraux du Mouvement Chrétien des Retraités, 2013 Strasbourg. 8. J.G.Xerri, op.cit. p.233. 9. Eloi Leclerc Sagesse d’un pauvre Paris Ed. Franciscaines, 1984, p.150

M.B., Rome, Congrès « La richesse des années » le 30 janvier 2020

 

30 gennaio 2020